Financement de l’UEMOA: Proposition Post-COVID

Là où l’Europe peut créer un mécanisme de stabilité en faisant lever des fonds par une entité garantie aux titres refinançables par la BCE, nous pouvons faire jouer le même rôle à la BCEAO sans la garantie des Etats si elle a la maîtrise de son bilan

Le Sénégal a lancé le débat sur la dette africaine et par la voix de son ministre des Finances a soutenu que son annulation permettrait de mobiliser des ressources nouvelles pour financer une reprise intéressante pour l’Afrique et ses partenaires. Il s’agirait donc de la reconstituer et rapidement en levant notre contrainte de critère de convergence sur le déficit budgétaire. Le Bénin, par la voix de son ministre des Finances, a lui exprimé une préférence pour des financements nouveaux plutôt que l’annulation ou le moratoire d’une dette jugée soutenable, invoquant des difficultés futures de mobilisation de ressources du marché qui en découleraient. Tidjane Thiam, figure emblématique d’une Afrique compétente et écoutée de la finance internationale, signataire d’une tribune en faveur du moratoire, voit en ce moratoire une solution immédiate et temporaire de libération de liquidités sans ressources nouvelles.

Pour notre part, nous nous sommes exprimés contre l’annulation de notre dette et pour une autonomie monétaire afin de faciliter le refinancement de cette dette en monnaie nationale principalement, avec la souscription de non-résidents (voir Annulation de Dettes Non, Souveraineté Monétaire Oui). En effet, dans la gestion d’une dette souveraine, l’accès aux marchés pour le refinancement d’un niveau de dette soutenable est plus important que la capacité de remboursement avec des recettes effectives. Il est donc important d’être perçu par les marchés comme un souverain solvable qui respecte ses engagements. Nous soutiendrions une annulation de dette pour le Sénégal, si le président Macky Sall s’engageait à ne pas la reconstituer principalement en devises bien que finançable de l’extérieur.

Cela dit, ce débat public est sain comme le soulignait Kako Nubukpo dans une récente contribution, puisque pour notre part, le dénominateur commun de ce débat est que l’Afrique a besoin de ressources extérieures complémentaires pour son développement. Comment mobiliser ces ressources tout en nous affranchissant du joug de nos « partenaires au développement » ? Nous avons noté que Tidjane Thiam en des circonstances différentes de temps et de lieux a exprimé les points de vue suivants : i) « il faut du capital supplémentaire qui entre en Afrique pour la croissance » (ii) « c’est une folie que de financer les infrastructures avec des eurobonds » (iii) « l’Afrique doit utiliser son épargne pour financer ses infrastructures ». Comment réconcilier ces trois positions ?

Clairement, l’insuffisance de l’épargne intérieure ou une utilisation optimale de nos revenus pour la consommation intérieure plutôt que l’investissement, nécessite un complément d’épargne extérieure n’ayant pas meilleurs usages (dettes ou fonds propres). Cette épargne extérieure peut être mise à disposition sous forme d’engagements en devises ou en monnaie nationale. Nous supposons donc que le problème que Tidjane Thiam a eu avec les eurobonds est qu’ils sont une dette en devises. Si tel est le cas, nous partageons avec lui une préférence pour l’endettement en monnaie nationale afin de réduire le risque de change du portefeuille de dette extérieure de nos Etats.

Il se trouve néanmoins que la raison principale pour laquelle nos Etats, Côte d’Ivoire et Sénégal, avaient émis des eurobonds dans des montants qui ont alerté Tidjane Thiam en 2018 n’était pas seulement liée au financement d’infrastructures (voir notre contribution « Eurobonds : le Sénégal et la Côte d’Ivoire au Secours de la BCEAO et des Banques»). Il s’agissait beaucoup plus d’une gestion macroéconomique, car notre banque centrale avait besoin de renflouer ses réserves de change après avoir excessivement financé nos états en monnaie nationale par le bais du refinancement de titres détenus par les banques. Cette thèse a été confirmée par le FMI. Une réduction relative de son volume de refinancement en conséquence avait créé une tension de liquidité dans le secteur bancaire et le marché des titres, générant un effet d’éviction du secteur privé. Au vu de cette expérience, comment lever des fonds sur les marchés internationaux pour renflouer nos réserves de change et soutenir la liquidité bancaire sans contraindre nos Etats à s’endetter en devises ?

Nous avons proposé que la BCEAO puisse émettre des titres sur le marché international sans la garantie des Etats sur la base de la solidité de son propre bilan dans la mesure où ses statuts le lui permettent. Elle pourrait ainsi lever jusqu’à 16 milliards de dollars, soit l’équivalent de ses réserves de change. Les fonds levés représenteraient des réserves de change portant leur niveau à 32 milliards de dollars immédiatement disponibles, alors que l’engagement extérieur de 16 milliards pourrait être sur une période relativement longue (5 ans) et renouvelable. Ainsi, une BCEAO à la gouvernance réformée aurait une capacité renforcée d’intervention, et donc de refinancement de crédits en soutien à la croissance mais sous le leadership du secteur privé.

Les non-économistes ne comprennent souvent pas comment il se fait qu’on ne puisse pas utiliser nos réserves de change pour des investissements alors qu’elles sont disponibles. Les économistes leur répondent toujours que la contrepartie circule déjà dans l’économie, et qu’il n’était pas possible de la réinjecter une deuxième fois. C’est vrai. Mais une façon de s’assurer que cette épargne extérieure est utilisée dans notre économie, est de permettre à la banque centrale d’emprunter son équivalent plutôt que d’attendre qu’on nous la prête par le biais d’eurobonds émis par nos états à des banques internationales. Si le financement graduel de l’économie que ces réserves permettraient ne réduit pas significativement le niveau de nos avoirs extérieurs nets, l’opération ne se solderait pas nécessairement en une dette nette ingérable par la BCEAO. Une autonomie d’objectif donnée à la BCEAO sur le taux de change tout en préservant sa mission première de stabilité des prix faciliterait cette gestion. Le refinancement par la banque centrale, à sa guise, de projets en soutient à l’exportation, à la substitution efficiente d’importations, et à la croissance serait ainsi bénéfique pour notre économie. Titrisés, des actifs de certains projets bien structurés pourraient même être vendus à l’international avec la participation de la BOAD.

Nous voyons là que notre destin n’est pas entre les mains de nos partenaires au développement, bilatéraux ou multilatéraux, si nous décidons de prendre la responsabilité de gérer nos finances. Là où l’Europe, par la solidarité, peut créer un mécanisme de stabilité en faisant lever des fonds par une entité garantie aux titres refinançables par la BCE, nous pouvons faire jouer le même rôle à la BCEAO sans la garantie des Etats si elle a la maîtrise de son bilan. Elle est notre meilleure institution et devrait pouvoir jouer un rôle réellement supranational auprès de nos états dans un monde post-Covid submergé de liquidités.

Ce que nous disons a été mis en œuvre par la Tunisie au début des années 2000. La Banque Centrale de Tunisie avait alors un programme d’émission de titres à moyen terme sur les marchés européens, japonais, et américains d’une valeur de 2 milliards de dollars qui équivalait au niveau de ses réserves de change de l’époque. Le prospectus indiquait que les fonds étaient destinés à renflouer ses réserves de change et à financer l’état Tunisien sans sa garantie. Si nous faisions la même chose, n’utiliserions-nous pas l’épargne nationale pour financer le secteur privé et des projets d’infrastructures rentables allant dans le sens de l’interpellation de Tidiane Thiam ? Crédit Suisse faisait partie des banques participantes. Cela nous semble préférable que d’emprunter la même épargne à travers le trésor d’un état tiers comme nous l’avons fait depuis 1960 pour remettre les fonds à nos états défaillants qui ont voulu conduire le développement à la place du secteur privé national. Annuler la dette pour la reconstituer de cette manière n’est pas souhaitable. Nos Etats pourront davantage se concentrer à développer le marché financier régional avec l’apport de non-résidents en monnaie nationale.

Alors, respectons les critères de convergence après le rattrapage contracyclique de la crise, renforçons notre banque centrale indépendante, et donnons-lui le mandat d’accompagner le développement sous le leadership du secteur privé et l’appui des états sur des choix consensuels avec l’exutoire du taux de change. Nos Etats se concentreraient davantage sur les services publics qui nous sont communs (santé, éducation, infrastructure de base, sécurité) dont la qualité dépendra d’une vraie politique de décentralisation. L’inclusion financière de nos populations et de nos collectivités locales leur permettra de participer à l’avènement de collectivités locales fortes soutenues par des petites et moyennes entreprises nationales résilientes.

De ce dernier point de vue, nous réitérons que l’Afrique devra capitaliser sur sa démographie en reconstruction et son urbanisation croissante qui ne seront plus des handicaps mais des atouts.  Ces deux facteurs conjugués à la digitalisation des échanges permettront aux populations des zones urbaines de mobiliser l’épargne en monnaie nationale correspondant aux dépôts stables de leurs portefeuilles électroniques pour leur transformation en financements à moyen terme. Elles auront ainsi également une option sur le refinancement de la banque centrale, et donc sur les réserves de change, et pourront disposer de fonds propres pour leurs projets sans passer par le crédit bancaire. En effet, nos banques peinent à transformer nos dépôts à vue stables en des financements à moyen et long termes au profit de nos entreprises.

Librement.